De l’importance d’un bon chapeau

Cette année, on a vu sortir le guide pour photographes de la mondialement célèbre agence Magnum avec le titre « Portez de bonnes chaussures » !

Wear good shoes-Magnum

Ce conseil, donné par Matt Stuart à ses camarades photojournalistes, n’est pas une simple boutade. Porter de bonnes chaussures constitue en effet un prérequis pour tout photographe partant sur le terrain en quête des images qui finiront par former un reportage.

Cela étant, il me semble qu’outre cette paire de chaussures adéquate, un bon journaliste doit aussi se préoccuper de trouver le bon chapeau… Pas à porter, mais à photographier !

Si je devais établir un classement de mes cinq photos préférées ou, en tout cas, de celles m’ayant le plus influencé, ce cliché d’Eugene Smith figurerait très probablement dans le haut du panier.

Members of the Guardia Civil, Spanish village photo-essay © W.Eugene Smith 1951
Members of the Guardia Civil, Spanish village photo-essay © W.Eugene Smith 1951

La proximité, le cadrage étroit, le vif contraste entre ombre et lumière, la chaleur écrasante, l’intensité des expressions, et surtout la force du garde en premier plan, avec cette pose napoléonienne : autant d’éléments qui, alliés à la présence de ces trois silhouettes, confèrent pour moi à cette image une qualité classique et intemporelle. Je n’ai jamais pu l’oublier depuis la première fois que je l’ai vue, il y a trente ans.

Mais avant tout, ce qui procure à cette photo une dimension exceptionnelle, ce sont les tricornes à la forme si singulière que portent ces gardes civils espagnols. Inclinés d’une manière légèrement différente, ces trois couvre-chefs créent un puissant effet de rythme à l’image, fournissant ainsi la tension graphique et la structure qui unifient le tout.
Les différentes sortes de couvre-chefs ont occupé une part importante dans les représentations photographiques du XXe siècle. Ils dénotaient tour à tour le statut social, le genre, le métier, l’identité culturelle ou géographique. Ces images classiques se sont en quelque sorte intégrées à la grammaire visuelle qui a influencé mon approche de la photo, et elles continuent de m’inspirer.

Les chapeaux confèrent du style, ils apportent du poids et de la formalité aux images et génèrent une esthétique visuelle difficile à définir mais immédiatement reconnaissable.

Comparons ces deux photographies de femmes portant des chapeaux à voilette. La première a été prise dans une rue de Chicago par Vivian Maier, la seconde par moi-même lors d’un mariage récent en Bretagne.

© Vivian Maier
© Vivian Maier

Good photo headgear-01_photo Tim Fox

La Grande-Bretagne entretient une histoire d’amour assez remarquable avec les chapeaux. Du chapeau-melon au trilby en passant par la casquette classique ou à la Sherlock Holmes, il en existe pour tous les looks et toutes les occasions, en fonction des classes sociales ou du type d’événement. Ce symbole de la tradition britannique ne saurait être davantage mis en lumière que lors des rencontres annuelles autour de compétitions sportives huppées comme la Henley Regatta ou l’Epsom Derby.

Good photo headgear-02_photo Tim Fox

Good photo headgear-03_photo Tim Fox

Good photo headgear-04_photo Tim Fox

Good photo headgear-05_photo Tim Fox

Les mariages constituent eux aussi une affirmation du style et du statut, les divers types de chapeaux apportant une touche d’élégance – voire d’humour – au spectacle de cette journée.

Photo de mariage

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Good photo headgear-08_photo Tim Fox

Good photo headgear-09_photo Tim Fox

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Mariage de Lucie et Jerome, Vertou, 12 juillet 2014 photo Tim Fox

Même lors de mes incursions professionnelles dans le monde de l’entreprise, mon œil reste en permanence à l’affût d’un bon chapeau, dont la couleur et la forme ajouteront toujours une dimension supplémentaire à l’image et viendront rehausser la structure visuelle de l’ensemble.

Good photo headgear-12_photo Tim Fox

Good photo headgear-13_photo Tim Fox

Dernièrement, je suis tombé sur un rassemblement de Sikhs pendant un déplacement à Londres. Avec mes yeux d’occidental, j’ai été totalement captivé par « l’exotisme » de toutes les formes et couleurs de ces turbans, et je me suis demandé de quelle manière ces couvre-chefs venaient compléter la personnalité de chaque visage. Du point de vue photographique, j’avais le sentiment d’être tombé sur un filon particulièrement riche, étant en présence d’un ordre, d’une cohérence visuelle qui s’offrait spontanément à mes yeux.

Good photo headgear-14_photo Tim Fox

Good photo headgear-15_photo Tim Fox

Mais globalement, lorsque j’arpente les rues aujourd’hui, je ne croise guère de chapeaux – à part quelques casquettes de base-ball retournées. Nous vivons une époque différente, empreinte d’une démocratisation – certains diraient standardisation – du code vestimentaire.
Porter un chapeau n’est plus un acte quotidien. On le réserve davantage aux rituels, aux cérémonies. Ce fait est particulièrement vrai en Europe de l’Ouest. J’envie parfois ces photographes d’Amérique du Sud, où, pour des raisons culturelles et climatiques, le port du chapeau semble encore faire partie du quotidien. Même si j’avoue qu’il s’agit peut-être là d’une vision un peu romantique de ma part.

Oaxaca, Mexico.© David Alan Harvey 1992
Oaxaca, Mexico.© David Alan Harvey 1992

J’aurai tout de même eu un soupçon de parfum d’Amérique du Sud lors d’un voyage à Rome, au printemps dernier, lorsque j’ai fait ce portrait « sans tête » d’un musicien qui venait juste de finir de jouer devant le Colisée. C’est clairement le chapeau qui a attiré mon regard vers lui ; sa forme et sa texture, associées aux lignes et à la palette de couleurs simples, semblent ici refléter les accords veloutés d’un jazz latino par une douce soirée de printemps.

Good photo headgear-16_photo Tim Fox

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