Conversations visuelles avec Niall McDiarmid


Même si j’aime toujours autant parcourir les rues à la recherche de juxtapositions drôles ou insolites à photographier, une question me taraude : « À quoi sert cette activité ? N’est-elle pas tout simplement superflue et futile ? En dehors de ma satisfaction personnelle, que disent réellement mes photos du monde qui m’entoure ? »

Il y a quatre ans environ, j’ai découvert le travail de Niall McDiarmid. Au-delà du plaisir et de l’admiration que ses photos ont suscités chez moi, j’ai eu l’impression que ses clichés réunissaient plusieurs éléments qui faisaient défaut dans mon travail. Sa manière de mélanger les genres entre portrait et photographie de rue m’a tout de suite plu ; il exprimait quelque chose de concret qui allait au-delà de l’expression artistique personnelle.

Alors que nous entrons dans l’année du Brexit (dur ou autre), les photos de Niall publiées dans Crossing Paths (2013) et Town to Town (2018) semblent témoigner d’une autre Grande-Bretagne, plus accueillante et plus tolérante. Les tenues et expressions photographiées attestent du multiculturalisme et de l’ouverture d’esprit de cette nation.
Et pourtant, Niall n’a rien du photographe documentaire traditionnel. « Ma démarche ne part d’aucun manifeste particulier… Je ne cherchais pas spécialement à m’intégrer dans une communauté… Je n’ai même pas particulièrement envie de raconter l’histoire des gens que je photographie… Par le passé, j’ai peut-être essayé de faire des choses plus avant-gardistes, moins agréables à l’œil, mais en fin de compte, l’important est que l’œuvre reflète la personnalité du photographe. »

« Dans le fond, je suis quelqu’un d’assez sérieux, mais je me suis rendu compte que j’engageais facilement la conversation avec des inconnus. C’est quelque chose qui me vient naturellement et que j’aime bien, même quand je ne prends pas de photos. »
Ce talent inné, doublé de ce qu’il décrit comme « le charme un peu timbré du gars tout droit sorti de ses Highlands », lui a permis de capturer un éventail hétéroclite de passants qui ont accepté de s’arrêter pour poser devant son appareil photo.

La rapidité de travail de Niall (jamais plus de quelques minutes, deux ou trois clichés) confère une qualité et une légèreté particulières à ses photos. La nature de la pose et la structure de la composition apportent une certaine formalité à ses portraits, mais ils conservent pourtant la spontanéité et l’authenticité qui caractérisent une rencontre fortuite au détour d’une rue. Niall saisit à la perfection ces instants fugaces empreints d’un mélange de gêne et de confiance entre le sujet et le photographe. Même si le regard du sujet fixe souvent l’objectif, Niall n’est pas rigide dans le choix des expressions ; il est même assez sûr de lui pour autoriser un sourire si la situation s’y prête. Bien qu’il travaille avec l’éphémère, Niall nous offre des portraits qui renferment quelque chose de quasiment intemporel. L’ordinaire prend une teinte extraordinaire sous son regard.

Outre ses compétences relationnelles, Niall possède un autre talent suprême auquel je suis tout aussi sensible : son œil pour la couleur. Celle-ci est au cœur de son travail. Elle rend ses photos reconnaissables au premier coup d’œil. Les habits, l’arrière-plan, l’environnement… Tout est harmonie.

Comme je l’expliquais plus haut, ce n’est pas tant le décryptage social sous-jacent de la photo qui compte pour Niall, mais plutôt le langage visuel qui transparaît du cliché lui-même. Il me semble que sa maîtrise de l’harmonie des couleurs lui a aussi permis de mettre en valeur certaines caractéristiques du tissu urbain britannique qui seraient normalement considérées comme inesthétiques (panneaux de signalisation, poubelles, stations-service, palissades de construction, etc.).

Même si le portrait de rue et la vivacité des couleurs sont à n’en pas douter les éléments qui ont établi la marque McDiarmid pour ses followers d’Internet, son dernier livre, Southwestern (2019), marque l’amorce d’un léger changement de direction, sans qu’il s’agisse néanmoins d’un nouveau départ.

On y découvre un Niall en quête de beauté photographique, avec une approche plus diversifiée – cafés vides, natures mortes, paysages urbains – et l’utilisation de couleurs plus douces. « C’est un peu comme quand un musicien sort un album. Il commence par sortir deux singles qui piquent la curiosité du public, puis il étoffe sa sélection avec d’autres morceaux peut-être moins accrocheurs, mais plus mémorables sur le long terme. »

Loin de moi l’idée de copier le style de Niall, mais ses travaux continuent de m’inspirer et de m’inciter à explorer de nouvelles pistes dans ma pratique de la photographie de rue. Alors que je me sentais obligé de suivre cette règle immuable selon laquelle toute personne photographiée dans le domaine public doit ignorer la présence du photographe, je considère de plus en plus qu’une approche aussi rigoriste témoigne d’une rigidité non justifiée. Même si j’apprécie l’excitation d’un instant volé, j’aime aussi les rencontres fortuites et les échanges qui s’engagent lorsque l’on demande à un inconnu la permission de prendre sa photo. Dans un monde où la méfiance et l’égocentrisme numérique occupent une place grandissante, il est bon de communiquer avec ceux qui nous entourent. Le cliché ci-dessous est le fruit de cette nouvelle approche : un instant merveilleusement improvisé alors que je venais de demander l’autorisation de prendre la photo. Merci à Niall d’avoir contribué à cette évolution. Comme lui, je sais désormais que l’essentiel est de continuer d’apprécier de sortir de chez soi pour prendre des photos.

© Tim Fox

merci à Niall McDiarmid pour l’autorisation de publier ses photos .

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