Eloge de la verticalité

J’ai toujours envisagé la photographie comme l’art de capturer la réalité d’une manière qui ne saute pas immédiatement à l’œil nu. À mon sens, cette façon singulière de percevoir le monde se trouve résumée dans cette citation de Garry Winogrand : « Je photographie pour voir à quoi ressemble quelque chose de photographié ».

C’est l’une des raisons fondamentales pour lesquelles j’ai souvent été attiré par le format portrait. Dans notre existence quotidienne, nous appréhendons principalement notre environnement dans un champ horizontal. Cadrer une image verticalement avec un appareil 35 mm constitue donc un choix de composition qui, par sa nature, créé une perspective différente, un point de vue quelque peu atypique et distancié de la réalité, et qui offre par là même une forme d’abstraction.

Comparons les deux photos d’un artiste de rue que j’ai prises à Rome, sur le pont Sisto.

J’ai d’abord opté pour le format paysage, en essayant de créer une juxtaposition de mouvement. Mais dès que je suis passé au format portrait, l’image est devenue plus dynamique, et j’étais très content d’avoir pu saisir ce moment qui, quoiqu’en partie calculé, était aussi le fruit de la chance, avec le positionnement idéal des silhouettes et le contraste de bleu et de noir. Cette photo verticale donne une impression de temps suspendu et ajoute une touche d’esprit qui n’apparaissait pas précédemment.

La notion d’espace est tout aussi déterminante et intéressante quand je choisis de réaliser mes clichés en mode vertical. Tout en adhérant au principe classique consistant à diviser une image selon la règle des tiers, nous avons la possibilité, en format portrait, de nous servir de « l’espace vide » – souvent le ciel, mais aussi l’eau et d’autres éléments simples – pour créer des perspectives inhabituelles. Je trouve particulièrement inspirant et stimulant ce jeu consistant à trouver un équilibre entre des éléments plus ou moins « chargés » flottant dans un cadre vertical.

Un autre défi auquel j’aime me confronter est d’associer deux ou davantage d’éléments dans le cadre, d’une manière qui ne soit pas évidente pour l’œil non-photographique, mais qui crée des juxtapositions intrigantes.

Naturellement, l’humour joue aussi un rôle non négligeable dans mon approche, et le format vertical est aussi efficace et peut-être même plus simple que le mode paysage pour capter cela.




J’ignore si c’est un fait récent, mais il me semble que les images verticales, en photo de rue notamment, sont un peu le parent pauvre des clichés horizontaux. Peut-être est-ce parce qu’ils s’adaptent moins bien aux écrans d’ordinateur ; il faut même les reformater pour obtenir une image en portrait qui ne soit pas rognée sur Instagram. Lors des derniers LensCulture Street Photography Awards, aucune photo verticale n’a été sélectionnée.

S’agit-il du hasard ou d’un véritable a priori ? En tout cas, il existe certainement une tendance actuelle pour les images complexes comportant de nombreux plans et beaucoup d’éléments, sans doute influencée par Alex Webb, entre autres. Il est vrai qu’en comparaison, dans nombre de mes photos en format portrait, je recherche davantage une atmosphère paisible, épurée, avec seulement un ou deux éléments sur le devant de la scène.


Le jeune photographe tchèque David Gaberle a montré, dans son formidable premier livre, Metropolight, qu’il était possible de créer des photos modernes, dynamiques et avec plusieurs plans, dans un cadre vertical.

Shanghai 2015 © David Gaberle

J’ai moi aussi employé cette technique de reflet pour capturer les jeux de lumière et de couleur, d’une façon comparable à celle de Gaberle, quoique moins foisonnante.


La forme ne devrait jamais prendre le pas sur le fond, et mon but n’est pas de promouvoir le format vertical comme un élément de style afin de se distinguer de la masse. Chaque situation est unique ; parfois, le format paysage convient mieux, et d’autres, ce sera celui du portrait. Cela dit, je me suis rendu compte que la verticalité fait réellement partie de mon ADN photographique, et je voulais ici mettre en avant les vertus de cette approche afin de corriger ce que je considère comme une présentation non équitable de la photographie de rue. Parce que le format paysage n’est pas le seul valable dans cet art.

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