Voir vite et bouger lentement : l’art de Matt Stuart

De nos jours, il existe presque autant de workshops que de photographes. Mais quand l’occasion de visiter une capitale voisine où je ne m’étais jamais rendu (Bruxelles) s’est présentée à moi début octobre, en compagnie de Matt Stuart, et dans le contexte d’un festival de photo de rue, je l’ai trouvée trop belle pour la laisser passer.

C’est avec assiduité que j’ai suivi le travail de Matt pendant plus de dix ans, depuis que le genre de la photo de rue a repris ses droits à l’ère du digital, comme un espace où un œil observateur pouvait transformer un banal environnement quotidien en moments de pure magie et de spectacle. Matt a beau ne pas particulièrement revendiquer cette étiquette – c’est un excellent photographe professionnel en soi –, cette classification lui a été profitable au fil des ans, et l’on considère que nombre de ses clichés de scènes urbaines sont désormais devenues des icônes de la street photography.

© Matt Stuart
© Matt Stuart

Venant moi-même d’animer un week-end d’atelier de photo de rue dans ma ville de Nantes, il était intéressant de me mettre alors en position de stagiaire et de découvrir ce que je pouvais encore apprendre dans cet art. Matt est un fin observateur du langage corporel, et une grande partie de son talent réside dans sa capacité à repérer les signaux évocateurs dans la gestuelle des gens, comme en atteste un grand nombre de ses meilleurs clichés.

© Matt Stuart

Alors que notre groupe était réuni sur la place centrale de Bruxelles, il a vite identifié dans la foule des touristes ceux qui échangeaient entre eux de manière intéressante, ceux qui se contentaient de flâner, et ceux qui n’allaient pas tarder à s’éloigner. Son attention se porte aussi énormément sur la manière dont les photographes se comportent dans l’espace public. Je me considère moi-même comme assez expérimenté en la matière, et pourtant, il n’a pas tardé à me faire remarquer que j’avais des mouvements trop brusques, trop empressé que j’étais de pouvoir réaliser mon cliché. J’adressais ainsi un message menaçant à mes sujets non volontaires. Il est toujours préférable de voir vite et de bouger lentement.

Dans la salle de classe, si l’on peut dire, Matt nous a également fait la preuve de son expérience et de son autorité de manière tout à fait pertinente. En passant les images en revue, il n’hésite pas à qualifier telle ou telle photo d’ennuyeuse ou carrément mauvaise, tout cela avec le sourire et un charme bien à lui. Il ne tolère qu’une proportion de 5% de recadrage des images, et guide les participants pour les aider à se débarrasser des clichés déjà vus. Cette approche reflète ses propres critères, très rigoureux (« Dans une bonne année, je dois récolter 10 bonnes photos »), et, pour moi, c’était un vrai coup d’aiguillon pour m’améliorer, ne pas céder à la facilité et revenir parfois à certains endroits pour essayer d’en tirer quelque chose de mieux.
Globalement, j’ai trouvé le temps de prise de vue un peu court – il est difficile, avec dix participants, de répondre aux besoins de tout le groupe et des aspirations personnelles de chacun. J’ai pu faire quelques belles prises, sans rapporter de trophée pour autant.

Ceci dit, la frustration a aussi ses avantages. J’en ai vu et appris suffisamment pour avoir envie de retourner à Bruxelles et de mieux capter les lieux, dans le style coloré et un peu surréaliste d’un de mes héros, Harry Gruyaert.

L’un des intérêts de ces ateliers réside aussi dans les personnes qu’on y rencontre et les liens qu’on y crée. Matt est un homme entier, qui ne compte ni son temps ni ses conseils, passionné de photographie mais également de la vie au sens large. Nous nous sommes retrouvés autour de quelques bières et d’une assiette de nachos en fin de stage, et ce fut l’occasion d’en savoir un peu plus sur l’homme et le photographe… même si je n’ai pas eu le temps de lui poser toutes les questions qui me venaient à l’esprit.

En voici quelques-unes :

You often take busy pictures, you like to be among the crowds. To what extent is this a reflection of your gregarious nature?
I like to be in the flow of it all, I am an existentialist and like to feel alive. So to a certain extent crowds are something that I am drawn too.

Your book “All that Life can Afford”, is a collection of London-based pictures. To what extent are you happy to proclaim yourself in the lineage of British humouristic photography, descending so to speak, from Tony Ray-Jones, and to what extent are you wanting to move away from this image?
I think there are a mixture of happy and sad pictures in my book. I’m open to the fun of it all and the sadness as well. Tony Ray-Jones said it best with the following quote. “I have tried to show the sadness and the humour in a gentle madness that prevails in people. The situations are sometimes ambiguous and unreal, and the juxtaposition of elements seemingly unrelated, and yet the people are real. This, I hope, helps to create a feeling of fantasy. Photography can be a mirror and reflect life as it is, but I also think that perhaps it is possible to walk, like Alice, through a looking-glass, and find another kind of world with the camera.”

You claim that Anglo-Saxons are a little obsessed with rigid rules of composition. Any South American or other photographers that inspire you with a freer style?
Cristóbal Hara who is Spanish for one, and Sergio Larrain, the Chilean, is an other. I think (us!) Europeans need to loosen up a bit.

Elliott Erwitt claimed that the main difference between a Leica rangefinder and an SLR, was that you see the bigger picture and don’t have your eye glued to the viewfinder. Is this true for you and how does it help composing on the streets?
I use live view a lot with my Leica, I think how we use cameras is changing with new technology. For example Erwitt uses a Canon with autofocus now, I wonder if that even existed when he said the quote above.

You define yourself as somewhat of an obsessive, at least when it comes to getting the right shot. You once waited four hours in the same spot to capture a picture. Can you describe the wait and how it felt when you got your catch ?
I love the wait, almost as much as the catch. Patience and the wait is part of the game for me. Just like fishing.

You’re a member of In-Public, you’ve worked for Magnum and now you’re part of the MAPS agency. What does being associated with the wider photographic community bring to you personally and professionally?
Fame yes, fortune no, happiness (sometimes).

Do you still differentiate between the pictures you take for your own pleasure, and those taken on commission?
I take less and less photos on commission nowadays, although I would always differentiate between the two as a commission usually has a brief, which needs fulfilling.

You’ve shot a lot of work recently in California. Do you find the intensity of the light there easy to handle or does it bring its’ own problems?
The light is glorious in California and I welcome it with open arms. As someone who suffers with S.A.D I never shy away from the light.

When was the last time you shot Black & White (film), any urge to re-discover the potential of the medium, or any projects you have in mind that would be appropriate?
Most of my favourite photographers shot b&w and many of my favourite heroes photographs were shot with it. I haven’t used it for 20 years, some times I dream about putting my toe back in the monochrome water. Then I wake up.

If there was one song that would be the soundtrack to your photographic career, what would it be?
“You can’t always get what you want”, the Rolling Stones.

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